Les décisions collectives de SAS ne peuvent pas être adoptées par un vote minoritaire
La Cour de cassation réunie en assemblée plénière a tranché : une décision collective d’associés implique la majorité des voix. Les statuts d’une SAS ne peuvent donc pas prévoir que les décisions sont adoptées par un vote minoritaire.
Dans les sociétés par actions simplifiées (SAS), les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient (C. com. art. L 227-9, al. 1). Toutefois, certaines attributions dévolues aux assemblées de SA, telle l’augmentation du capital social, doivent être exercées collectivement par les associés dans les conditions prévues par les statuts (al. 2).
Les statuts peuvent-ils prévoir que les décisions peuvent être adoptées par une minorité d’associés ?
L’assemblée plénière de la Cour de cassation vient de trancher la question par la négative. Cette décision met fin à un débat sur lequel la chambre commerciale et la cour d’appel de Paris avaient adopté des solutions divergentes.
Les faits ayant donné lieu à cette décision étaient les suivants : les statuts d’une SAS prévoyaient que «â€ˆles décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés présents ou représentés ». Lors d’une assemblée appelée à voter une augmentation de capital réservée au président, les voix «â€ˆpour » avaient obtenu plus du tiers requis (229 313 voix, soit 46 % des droits de vote présents ou représentés) mais moins que les voix «â€ˆcontre » (269 185 voix, soit 54 %).
La chambre commerciale de la Cour de cassation avait censuré la décision de la cour d’appel de Paris ayant jugé la résolution valablement adoptée (Cass. com. 19-1-2022 no 19-12.696). Statuant sur renvoi, la cour d’appel de Paris avait refusé de suivre la solution de la chambre commerciale et à nouveau reconnu la validité d’une telle clause (CA Paris 4-4-2023 no 22/05320). Les conditions pour que l’assemblée plénière statue étaient donc réunies.
En censurant une nouvelle fois la décision de la cour d’appel, l’assemblée plénière donne raison à la chambre commerciale, en dégageant un principe qui restreint la liberté statutaire des SAS, et dont la portée peut dépasser ces seules sociétés.
Pour l’assemblée plénière, une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix ; toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires. La solution repose sur la conception selon laquelle la notion de décision collective implique, par nature, qu’elle soit prise à la majorité. La notion de décision collective n’est pas définie par la loi, mais cette conception a été considérée comme «â€ˆde bon sens » par divers auteurs. Consultée par la Cour de cassation dans le cadre de la présente affaire, l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) a elle aussi considéré que, si la loi ou les statuts d’une SAS prévoient une décision collective, celle-ci doit nécessairement être prise à une majorité définie par les statuts (mais cette position n’avait pas obtenu l’unanimité de ses membres).
Le nouveau principe est aussi fondé sur des considérations pragmatiques et le souci d’éviter que les sociétés soient exposées à un risque d’instabilité ou de blocage du fait de l’adoption, par une minorité, d’une décision qu’une autre minorité pourrait immédiatement contredire ou défaire. Une telle situation serait source d’insécurité aussi bien pour la société que pour les tiers.
L’assemblée plénière de la Cour de cassation juge que la liberté contractuelle qui régit la SAS ne peut s’exercer que dans le respect du nouveau principe ainsi dégagé. Elle en déduit que, dans ces sociétés, une décision collective des associés ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées. L’assemblée plénière prend soin de préciser que la nécessité d’une majorité s’applique sans distinguer selon que la décision collective des associés relève de leur compétence obligatoire (C. com. art. L 227-9, al. 2) ou de celle que les statuts leur attribuent (al. 1).
Quelle majorité ?
La chambre commerciale avait jugé que les résolutions des associés d’une SAS ne peuvent pas être adoptées par un nombre de voix inférieur à la «â€ˆmajorité simple » des votes exprimés (Cass. com. 19-1-2022 no 19-12.696 précité). L’Assemblée plénière adopte une formulation différente : la résolution doit réunir «â€ˆau moins la majorité des voix exprimées »  ; plus exactement, elle doit rassembler en sa faveur le «â€ˆplus grand nombre de voix ». Il résulte de l’arrêt commenté qu’est valable la clause prévoyant que la résolution adoptée est celle qui a réuni le plus grand nombre de voix, sans qu’il soit nécessaire qu’elle réunisse au moins la moitié des voix (par exemple 30 % alors que les autres propositions ont chacune recueilli 10 %).
Une portée élargie aux autres formes sociales
En fondant le principe nouveau non seulement sur l’article L 227-9 du Code de commerce (comme l’avait proposé l’avocat général), mais aussi sur les articles 1844 et 1844-10 du Code civil, l’assemblée plénière semble lui donner une portée applicable à toutes les sociétés, quelle que soit leur forme, alors que la chambre commerciale avait limité sa décision aux seules SAS. La solution de l’assemblée plénière ne s’applique cependant que dans le silence de la loi. L’incidence concrète de ce principe varie donc selon le type de société (et sauf dispositions particulières).
Dans les SARL, les SA et les sociétés en commandite par actions, la loi prévoit déjà l’adoption des décisions d’associés ou d’actionnaires à la majorité, celle-ci se calculant selon des modalités diverses (cf. notamment C. com. art. L 223-29, L 223-30, L 225-96L 225-98, L 225-99 et L 226-1, al. 2).
La loi prévoit aussi le principe majoritaire dans les sociétés en nom collectif (SNC) : en effet, les statuts de ces sociétés peuvent prévoir que les décisions qui excèdent les pouvoirs des gérants sont prises à «â€ˆune majorité » qu’ils fixent (C. com. art. L 221-6). Toutefois, l’article L 221-12 prévoit que la révocation d’un associé-gérant non statutaire ou d’un gérant non associé peut être décidée «â€ˆdans les conditions prévues par les statuts » sans exiger expressément que ces conditions prévoient une majorité.
Dans les sociétés en commandite simple (SCS), la modification des statuts nécessite le consentement de tous les commandités et la majorité en nombre et en capital des commanditaires (C. com. art. L 222-9), mais les autres décisions sont prises «â€ˆdans les conditions fixées par les statuts » (C. com. art. L 222-5) et les règles de révocation du gérant sont les mêmes que celles applicables aux SNC (C. com. art. L 222-2). Le nouveau principe dégagé par la Cour de cassation a donc, à notre avis, vocation à s’appliquer à ces clauses des statuts de SNC et SCS. Celles-ci ne peuvent donc pas prévoir l’adoption par un vote minoritaire ; à défaut elles sont réputées non écrites.
Il en va de même dans les sociétés civiles : dans ces sociétés, les décisions qui excédent les pouvoirs des gérants sont (sauf exceptions) prises «â€ˆselon les dispositions statutaires » (C. civ. art. 1852) sans autre précision et la solution de l’arrêt commenté à vocation à s’appliquer.
L’incidence est toutefois faible car, en pratique, les statuts de ces sociétés ne comportent jamais de clause prévoyant un vote minoritaire.
Cass. ass. plén. 15-11-2024 n° 23-16.670
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